mercredi 19 mars 2008

« Prendre la parole, peut être libérateur »

Les particuliers ne sont pas les seuls à pouvoir «accoucher de leur mémoire ». Cela peut l’être aussi, à des fins utiles, dans le cadre d’une séance collective au sein d’une association. C’est précisément l’activité d’Agnès que j’ai rencontrée en décembre dernier.

N’allez pas croire que les gens livrent, comme cela, à brûle-pourpoint leur vie. Non, il faut du temps pour que la confiance s’installe. Pour Agnès, cela a pris le temps qu’il faut pour se faire connaître, abaisser les barrières des réticences. « La relation de confiance est au centre de tout. C’est par elle que va s se mettre en place la relation de groupe. Cela peut même durer deux mois avant même que l’idée d’un entretien collectif autour du récit de vie puisse s’amorcer », explique Agnès.

Le groupe choisit ensemble le thème de la discussion
Dans un premier temps, il est proposé aux « conteurs » de s’arrêter sur une expérience positive. « Les personnes en difficultés sont souvent sollicitées à partir des problèmes qu’elles rencontrent, mais la vie d’aujourd’hui n’est pas celle qu’ils ont connue hier : se resituer dans un parcours permet de traverser le présent sans le nier. Ainsi, une expérience d’engagement ou de vie professionnelle est-elle souvent abordée car cela touche moins à l’ intimité », précise celle qui a proposé récemment aux « conteurs de Montreuil » de s’arrêter sur leur histoire : sans domiciles, clandestins mais aussi personnes qui ont travaillé toutes leur vie mais sans être déclarées et se trouvent à la rue….

Les entretiens de groupe se passent autour d'une table, ils sont enregistrés sauf lorsqu’un des participants fait signe d’arrêter le magnétophone.
Agnès enregistre surtout « pour libérer l’écoute et pouvoir, par la suite, leur restituer leurs propres paroles ». Et c'est parti pour « l’Heure des conteurs » comme elle aime l’appeler. "L'histoire individuelle de chacun trouve une résonnance dans le groupe. Les paroles des uns rejoignent en miroir celles des autres et permettent de rebondir sur différentes expériences et surtout d’y trouver un sens. "

Ensuite, elle espace les rencontres de quinze jours, laps de temps nécessaire pour permettre de prendre du recul par rapport à la séance, surtout pour retranscrire par écrit ce qui a été enregistré puisque chacun, à la fin, repartira avec une trace de ce qu’il a dit.
Pour Agnès, il est nécessaire de limiter les entretiens dans le temps (entre 12 à 15 séances) : « se fixer une échéance donne une rigueur au projet».

« Je ne pas la propriétaire des propos »
Le respect de la parole est l’une des clés dans la conduite des récits de vie. Si une personne ne se reconnaît pas dans ce qui a été restitué, c’est qu’elle a raison : « la validation par les personnes de leur parole restituée est essentielle. Elles peuvent changer le sens d’une phrase ou bien la supprimer. Je ne suis pas propriétaire de leur propos. Cela leur appartient». Parle celui qui a envie de parler. Personne n’est obligé de rien.

Agnès évoque son activité sans la dissocier d’une dimension collective. « Proposer à une personne qui se dit elle-même- « marginale » ou se définit comme « une rien du tout » c’est donner la parole à ceux que la société ne prend pas le temps d’entendre. Prendre la parole, c’est exister, la donner, la rendre possible c’est faire exister et créer du lien.» Ces rencontres permettent le partage mais aussi de prendre du recul par rapport à une période de fragilité que chacun a vécu à un moment donné de sa vie. « Se plonger dans ses racines aide à se situer dans le présent, c’ est un point de départ pour regarder devant soi et se tourner vers l’avenir », explique Agnès.

Un respect de la vie de chacun
Les paroles sont consignées dans un « Livre d’or ». Il est parfois laissé en libre-accès, au vue et au regard de tous, posé sur une table ou rangé sur une étagère. Mais bizarrement, personne ne vient y jeter un œil indiscret. « Il y a une retenue, un respect de la vie de chacun », constate Agnès.
Parfois, c’est du groupe que vient le désir de rendre public ce travail. Dans le XVIIIème à Paris, « Les conteurs de Marcadet-poissonniers » ont pris l’initiative d’organiser un apéritif « pour mieux connaître les bénévoles du Secours Catholique et les remercier de leur travail de préparation de repas. » Chacun a lu un passage de son histoire, ou récité un poème de sa composition. Il ne suffit de pas grand-chose : d’une estrade et d’un micro.
« Chacun a pu se positionner du bon côté de la barrière : celui de ceux qui peuvent prendre une initiative, celui de ceux à qui on est redevable d’un service ou d’une attention. De ceux à qui l’on dit « merci », se souvient-elle non sans émotion

Un travail auprès des jeunes
Son travail trouve aussi un écho particulier chez les jeunes de banlieue de la région parisienne, bien avant les « évènements » de 2005. Agnès refuse sciemment le terme «d’émeute » regrettant l’appropriation que les médias ont faite de l’actualité de ce mois de novembre.
Ces jeunes ont entre 19 et 25 ans, fâchés pour certains avec l’école, d’autres avec leur famille. Ils ont été sollicités dans le cadre du dispositif du service civique volontaire (SCV) par certaines mairies afin de participer à des projets socio-éducatifs ou culturels liés au monde associatif. C’est pour mettre des mots sur leur malaise que Traces d’Avenir les accompagne. La démarche reste collective. « nous intervenons en équipe mixte pour les accompagner et les inciter à interroger leurs parents sur leur parcours. Cela les aide à se réapproprier leur histoire familiale et a se sentir fiers de leurs racines ».

Se nourrir de l’expérience des autres
Traces d’avenir est le nom de l’association qui regroupe des formateurs et des chercheurs qui favorisent les « Histoires de vie » comme démarche de Formation Continue des Adultes. Tous pratiquent le même métier mais se différencient par les publics auxquels ils s’adressent :
« mémoires et transmission » (pour des demandes individuelles souhaitant favoriser les relations intergénérationnelles) ; « biographie accompagnée : étapes d’une vie d’adulte » ; « histoires de vie et transitions professionnelles » (au moment de la retraite) « récit de vie et addictions » ; « interculturalités et récits de vie » ;« formation à la pratique des histoires de vie » ; « histoires de collectivité et projet ». « Ce regroupement permet d’échanger nos pratiques et de nourrir notre réflexion » souligne Agnès.

Ellle parle volontiers «d’ un engagement humaniste qui contribue à mettre les personnes debout et les incite à devenir actrices de leur existence. Chaque intervention, chaque rencontre ne ressemble à aucune autre. C’est la singularité de chaque parcours, l’unique de chaque existence qui fait la richesse de ce métier".
Leur équipe compte bien poursuivre dans ce sens.
Marina Al Rubaee
Contact :
Tracesd’Avenir 30bis Bd Jourdan Paris 14
tel : 01 45 80 77 56
mail : agneslegrix@hotmail.com

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